1974
M.Senlis/P.Auriat
On la voyait passer toujours pliée en deux
Sous le poids d'un fagot mais plus souvent de deux
On la voyait passer le matin et le soir
Les cheveux bien tirés, toujours vêtue de noir
Du haut de mes dix ans je la trouvais plus vieille
Que ce tronc d'olivier, ces rameaux de la treille
Mais j'entendais ma mère du fond de la cuisine
Crier, crier, crier
Bonjour, bonjour Justine
Elle habitait là-bas, la plus vieille maison
Celle qui se confond au bleu de l'horizon
Barricadée chez elle comme dans un château fort
Elle comptait ses jours comme on compte un trésor
Du haut de mes quinze ans je la trouvais si laide
Avec ses pieds immenses et sa démarche raide
Mais j'entendais ma mère du fond de la cuisine
Crier, crier, crier
Bonjour, bonjour Justine
Un matin dans la rue on ne l'entendit pas
Mais quelques jours plus tard on a sonné le glas
Elle était morte seule à quatre vingt dix ans
On meurt seule à cet âge même entourée d'enfants
Du haut de mes trente ans s'est brisé quelque chose
Comme l'on se dégrise quand le ciel se fait rose
Je n'avais plus ma mère au fond de la cuisine
Et c'est moi qui criais
Adieu, adieu Justine.